Trait pour Trait, l’autobiographie comme une thérapie

Trait pour trait est une œuvre forte dont la lecture ne laisse pas indifférent. De par son coté autobiographique mais pas seulement…

Prépublié dans les pages du magazine Cocohana de 2012 à 2015, Trait pour Trait –Kakukaku Shikajika en VO- est un Josei de Akiko Higashimura complet en 5 tomes. Ici c’est paru chez Akata et c’est toujours dispo au moment ou j’écris ces lignes… La série est auréolée de quelques prix, comme le prestigieux Manga Taishō décroché en 2015.

Higashimura nous offre ici, ce qui est sans aucun doute une de ses séries les plus personnelle, un manga autobiographique, où l’auteure revient sur son parcours, mais surtout sur sa relation avec un certain professeur. Avec nostalgie, humour et sans langue de bois, elle nous raconte tout ou presque…

Tout en étant franche et incroyablement réaliste sur qui elle était…


Ne pas prendre de gants pour parler du passé

Loin de livrer une autobiographie embellie ou fantasmée, Higashimura traite son passé via un angle qui est loin de la mettre en valeur. Le pitch est d’ailleurs assez révélateur :

Akiko Hayashi est lycéenne, et elle habite dans la préfecture de Miyazaki. Très jeune, elle savait qu’elle voulait devenir dessinatrice de shōjo mangas, et avait déjà fantasmé tout son plan de carrière : l’âge auquel elle enverrait des premiers travaux aux éditeurs, l’âge auquel elle serait publiée, l’âge auquel son manga serait adapté en anime… Persuadée que son génie auto-proclamé suffirait à lui ouvrir toutes les portes, elle va pourtant être rattrapée par la réalité. Car en dernière année de lycée, sa rencontre avec un prof d’une petite classe d’arts à l’écart de tout, va violemment la ramener à la réalité.

Ce professeur étrange, plutôt sévère et armé de son sabre en bambou, va profondément changer sa vie.

Akiko Hayashi c’est Higashimura, on le comprend très rapidement et ici on n’a pas droit a une autobiographie lisse, l’auteure livre une vraie confession, nature, sincère, franche, sans rien omettre. On pourrait presque dire qu’elle a un regard assez sévère sur l’adolescente qu’elle était. Elle n’hésite d’ailleurs pas a se traiter régulièrement d’idiote (ou vouloir voyager dans le temps pour mettre une bonne paire de claques a son moi du passé) et le portrait qu’elle brosse d’elle-même n’est pas franchement flatteur.

Au fil des pages le récit devient de plus en plus personnel, Higashimura nous raconte tout, explique l’évolution de sa vie, de sa carrière, mais surtout elle nous livre simplement et sans faux-semblants tous les regrets qu’elle nourri encore aujourd’hui. Elle n’oublie pas non plus de parler de périodes de doutes, des attentes suivi des premiers revers, des échecs et des déceptions. Alors que forcément c’était gagné d’avance…

Pourtant elle ne tombe jamais dans le mélo ou dans la victimisation, en étant totalement honnête et réaliste, elle tape juste et ses constats finissent par trouver un écho chez le lecteur. Tout ça emballé dans un récit prenant, rythmé, dans lequel on se laisse happer.

Mais trait pour trait, c’est bien plus qu’une simple autobiographie en manga…


Une thérapie sous forme d’hommage

Pour évoquer son passé, dérouler son histoire et revenir dessus avec le lecteur, Higashimura utilise une narration en trois temps :

  • la vie lycéenne d’Akiko Hayashi
  • Les dialogues et pensées intérieures de Akiko jeune
  • Les retours et digressions de Akiko adulte sur les actions d’Akiko jeune

Et c’est vraiment bien foutu, Akiko adulte, endossant en quelques sorte le rôle de narratrice de l’histoire, tout en nous livrant son ressenti, ses retours au fil du récit. Ca lui permet de dérouler le passé comme une histoire suivie mais aussi d’apporter la touche critique sur son moi du passé qui est quelque part le sel de ce récit. Mais aussi de se livrer totalement…

De ses premiers pas de dessinatrice amateure, a ses premiers pas de mangaka en passant par ses cours, ses galères, ses succès etc. Higashimura nous déroule tout son parcours en mêlant subtilement humour et mélancolie. Grâce au franc-parler de Higashimura, aux nombreuses anecdotes (notamment professionnelle) qu’elle distille et à la juste dose de recul, d’humour et de second degré qu’il faut, on se laisse happer dans le récit. Tout s’enchaine de manière fluide, sans fausse note, avec la touche d’humour où il faut, la petite référence qui va bien, le petit détail qui fait tout, la petite touche mélancolique quand il faut. Et contrairement a ce qu’on pourrait penser vu le sujet, c’est pas lourd, c’est frais et dynamique et ça se lit tout seul…

Mais on comprend rapidement que Trait pour trait c’est bien plus que ça…

Higashimura, en parlant d’elle fini quelque part par parler de nous. Car  ici « l’age ingrat » prend cher, très cher, ici,  même si en y repensant l’adolescence est souvent une époque dont on se rappelle avec nostalgie car rien nous étais impossible, faut avouer qu’ado on était quand même un peu cons, égoïstes et tellement arrogants dans un sens… Et l’auteure en est bien consciente et nous le rappelle tout au long du récit et chacune de ces allusions font mouche. Oui c’est nostalgique, mais c’est pas de la nostalgie mielleuse ou complaisante, c’est de la nostalgie qui remet les choses en perspective et pour l’auteure clairement un vrai travail sur elle.

En plus d’être un vibrant hommage à son professeur…

Si elle revient sur tout son parcours, c’est vraiment la relation unique qu’elle a développé avec son professeur qui est le fil de cette histoire. Higashimura ne le dit pas clairement mais à la lecture on le comprend, cette histoire c’est surtout un grand cri d’amour, une déclaration, un hommage posthume à son professeur.  Pour resituer et peut être aussi quelque part exorciser, elle ne nous épargne rien, que ce soit la gène qu’elle éprouve face a ce professeur atypique, les mensonges qu’elle lui sert, et les regrets qu’elle éprouve avec le recul, elle revient sur tout, parfois avec affection envers l’ado naïve qu’elle était mais parfois très durement sur l’ado stupide qu’elle était aussi… Elle nous parle aussi de ce professeur excentrique, aux méthodes non académiques mais qui lui a tellement apporté et appris. Cet homme qui sous ses airs bourrus et sévère a toujours cru en elle et lui a remis le pieds a l’étrier plus d’une fois.  Et comme Akiko on comprend avec le recul, où le prof voulait en venir en étant si sévère avec elle. Que ce n’était pas de la méchanceté ou de la cruauté comme on le pensais, mais des conseils, des armes pour évoluer, de vrais coups de pouce bien plus utiles que des compliments ou si on nous avait mâché le boulot. Mais hélas bien souvent, comme elle, on le comprend par la suite, une fois devenu adulte.

Les nombreux dialogues ou Higashimura s’adresse a lui en le tutoyant sont comme autant de petits messages qu’elle lui adresse, comme si quelque part l’œuvre toute entière lui était destinée. En revenant sur sa relation avec lui, sur les actes manqués, les mensonges, les non-dits, en plus de prendre du recul, Higashimura se pose (et nous pose) des questions;  Qu’est-ce que ce professeur, dur mais paternel a t’il pu ressentir face a certains de ses actes? Était t’il conscient des petits mensonges, omissions? Savait t’il qu’elle pensait parfois agir correctement? Savait t’il qu’un jour elle prendrait conscience de tout ça?  Autant de questions qui hélas ne trouveront jamais de réponses et au final ce récit se pose comme une confession, un exorcisme, une thérapie…

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En revenant de la sorte sur son parcours, avec, franchise, lucidité et beaucoup de recul et d’auto dérision, elle nous invite aussi a revenir sur le notre, car les sujets qu’elle abordes sont dans le fond universels.


Tout sonne tellement juste

En plus d’aborder des thèmes et des question universelles, chez moi ce récit a un écho tout particulier. Qui ça va me permettre d’encore appuyer mon propos sur la justesse et la réalité de ce récit. J’ai fait des études d’Arts plastique. Par par passion ou parce que je voulais devenir dessinateur, moi j’voulais être mécanicien. Mais j’étais un pas gamin facile et après 2 renvois définitifs de l’école et comme j’avais selon ma famille « un bon coup de crayon » , j’ai été inscrit en école d’arts un peu en désespoir de cause faut avouer. Et comme j’avais quelques facilités, c’est vrai que ça s’est mieux passé.

Bref,

Certains se diront qu’un prof de dessin comme décrit dans cette histoire est forcément une caricature et que ça ne peut pas exister. Je peux vous assurer que oui ! Réaliser des dessins qui n’ont apparemment aucuns sens/intérêt ou répéter 50 fois le même sujet c’est bien réel. J’ai passé des après-midi entières a tracer des lignes droites (à la verticale,à l’horizontale) à main levé. Puis des cercles, jusqu’à ce qu’ils soit parfaits. Au pinceau, au fusain, à la plume etc. Ou dessiner le même escalier, encore et encore jusqu’à connaitre les 17 marches jusqu’à la moindre fissure, juste pour comprendre les perspectives. Des travaux sur lesquels j’avais passé des heures déchirés, ou agrémenté de retouches en rouges  car « nul » j’en ai eu quelques uns…

Et tout ça c’est principalement le fait de ma prof principale et chef d’atelier : Dominique M. Une prof atypique, au franc parler légendaire, mais avec laquelle j’ai au final appris énormément. Et quand je lisais Trait pour trait, en plus de me retourner, c’est aussi tout ça qui m’est remonté; mes cours de dessins ou l’ado débile que j’étais (et que je redeviens parfois)…

Car comme Akiko, je me complaisait mollement avec mon petit « talent » et me contentais de faire ce que je savais déjà faire, sans pousser plus loin, sans me poser de questions, en vrai crétin d’adolescent que j’étais, persuadé que j’avais un talent fou. Comme Akiko les études me paraissaient un peu superflues et j’étais persuadé que j’y arriverais quoi qu’il arrive (Spoiler ; NON). Et comme pour Akiko c’est la rencontre avec un certain professeur qui m’a pousser plus loin et m’a fait comprendre un paquet de trucs (parfois avec le recul).

Donc oui , le récit fait plus qu’écho chez moi…


Le mot de la fin

Trait pour trait réussi a nous captiver,nous toucher , nous émouvoir et nous faire passer par toute une palette d’émotions. Higashimura en parlant de son parcours, de son adolescence, de ses décisions (bonnes ou mauvaises), via sa relation avec son professeur, et bien quelque part elle nous parle aussi de nous… Tout ça, avec recul, justesse, pas mal de second degré et surtout un à-propos parfait. On sent sa sincérité au fil des pages et cela donne au récit et a la narration une incroyable fluidité, la gestion entre les plans et les époques ne souffre d’aucunes fausses notes ou temps mort. Et même si vous n’avez pas le background artistique pour voir la justesse des cours de dessins, la justesse et la franchise de ce récit elle, vous touchera forcément…

Et ça tient parfaitement en 5 tomes, alors n’hésitez pas.

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« Dessine ! »


*Billet rédigé dans le cadre de La semaine du shōjo 2022 qui a pour thèmes et consignes :  « Quel personnage de shōjo t’inspire le plus ? Quel personnage de shōjo serait ton modèle ? Il peut bien sûr s’agir de mangas/animes/drama et cela prend aussi en compte les Yaoi/BL ainsi que les Josei. »

Et on peut dire que le parcours de Akiko a eu un écho tout particulier chez moi…

Et pour finir, la liste des différents participants à cette édition 2022  :

13 commentaires

  1. Un hommage dans l’hommage sur un manga hommage. Très bel article 🙂

    Trait pour Trait, bien qu’étant personnellement relativement distant du monde artistique, a également eu une forte résonnance chez moi. Ce mentor, ce tuteur, parfois bourru mais tendre intérieurement qui vous remet sur le droit chemin, alors que vous êtes en plein moment d’égarement… on en a sans doute tous eu un…

    Ce que j’adore chez cette autrice, que je découvre encore, c’est cette alternance des registres, et des tons qui l’accompagnent, effectuée avec finesse, sans jamais verser dans le pathos ou le misérabilisme. C’est poignant car sincère et authentique, mais surtout bien narré. J’en suis ressorti très ému, malgré que la fin était connu depuis l’entame du récit.

    T’as su mettre les bons mots dessus. J’ai pas grand chose de plus à rajouter. Une magnifique lecture de mon côté également!

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  2. Très bel hommage sur Trait pour Trait! J’avais pensé les mêmes choses sur le sujet durant ma lecture. J’aime le fait que l’auteure ait été capable de rester vraie et sincère tout au long de son récit, quitte à faire preuve d’une grosse dose d’auto-dérision, elle a mis sa honte au placard et ça rend l’autobiographie tellement plus captivante.

    Des professeurs aussi particuliers au fond on en a tous eu, même en dehors des Écoles d’Art! Pour avoir été en Lettres Modernes je peux te dire que j’en ai mangé des heures à retravailler le même texte jusqu’à ce qu’il soit parfait avec des remarques et des méthodes d’apprentissage discutables x) C’est vraiment des personnes qui choquent mais qui vous apprennent énormément en même temps.

    L.

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