L’influence des Mangas/Animes dans le graffiti

J’ai deux grandes passions dans la vie: le manga et le graffiti. Enoncé comme ça, on se dit que les deux univers n’ont pas grand chose à voir entre eux.

Pas si sûr…

Préambule : Que ce soit les mangas ou le graffiti, ça fait plus de 20 ans que je baigne dedans. C’est grâce a cette passion que j’ai pour les deux médiums que m’est venu l’idée et la matière pour rédiger ce billet. Et le but ici n’est pas de débattre du bien-fondé ou non du graffiti -si c’est de l’art ou du vandalisme- mais simplement de mettre en avant les liens qui existent entre graffiti et manga/animes… Car oui, il y a plus de liens entre les deux disciplines qu’on ne pourrait l’imaginer.


Une histoire de personnages

Qu’on parle de mangas/animes ou de graffiti, dans les deux cas, on peut dire qu’actuellement c’est bien ancré dans la société, et que de nos jours, il est plutôt difficile de passer à coté de l’un ou de l’autre. Que ce soit dans les médias, les réseaux-sociaux, les librairies, les expos, la rue, les conversations, etc.  ces deux mediums sont désormais omniprésents et connus du grand public. Même si l’un s’est taillé sa place petit à petit et que l’autre s’impose sans vergogne depuis ses débuts… Mais de là a ce qu’il y ait pleins de parallèles a faire entre les deux?

Développons tout ça en détail et commençons par un peu de mise en contexte :

Très tôt le graffiti s’est nourri de personnages et d’univers issus de la pop culture pour dynamiser et illustrer les compositions. Dés les débuts du mouvement, dans les années 70, il n’est pas rare de croiser sur les métros ou les murs, Mickey, Donald, Snoopy ou encore des personnages de Cheech Wizard un comics de Vaughn Bodé. Les pochettes de disques, les publicités, les logos ou le Window Lettering sont autant de sources d’inspirations que les comics, les dessins animés ou la BD. Comme ce mouvement en est a ses balbutiements, les pratiquants piochent dans tout ce qu’ils aiment et qui les inspirent pour nourrir leurs styles et créer. Si la création d’univers et de personnages propres est aussi en vigueur et très largement pratiqué, il faut néanmoins constater que les graffeurs se sont dès le début approprié différents univers/personnages au même titre qu’ils se sont approprié l’espace urbain. Initiés par les pionniers New-yorkais, la reproduction de personnages -au même titre que les codes et la plupart des techniques du graffiti-, est encore largement pratiqué de nos jours. Ca a traversé les océans, ça s’est répandu partout, et oui ça a évolué depuis les débuts, mais tout ça n’a pas vraiment changé dans le fond. Et les personnages (créés ou reproduits) occupent toujours une place importante dans la scène graffiti. Les personnages étant idéal pour illustrer une idée ou un thème, faire passer un message ou tout simplement car c’est cool et qu’on aime le personnage/univers…

Et même si les comics, les BD etc. ce sont rapidement taillé la part du lion, les mangas et les animes ne sont pas resté sur le coté même si ça a clairement mis plus de temps a s’imposer au sein du graffiti. Et pourtant dès le milieu des années 80, on peut déjà voir les premiers murs inspirés par les mangas/anime. Dans le livre Spraycan Art, on peut voir un mur réalisé en 1986 à San Francisco par Crayone, Raevyn et Man 45. Regardez ci-dessous la photo dudit mur et dites moi que ça a pas comme des airs de Gundam.

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Pourtant il faudra attendre le début des années 2000 -et la popularisation grandissante des animes/mangas- pour que les graffeurs reproduisent régulièrement des personnages issus des mangas/animes et surtout qu’ils s’approprient et réinterprètent certains codes du manga. Si les ados des 70’s-80’s étaient principalement nourris aux cartoons et/ou aux comics, ceux des 90’s-00’s eux l’ont été aux mangas et autres Anime. Ce qui évidemment a eu une influence sur eux et sur leurs références. Et si dans le graffiti il est avant tout question de lettres, nous l’avons vu, les personnages occupent une place importante et lorsque l’on se penche sur des biographies/interviews de graffeurs, on constate que beaucoup ont commencé par dessiner des personnages et que quand est venu le moment de réaliser leurs premiers graffs, ils ont naturellement et rapidement commencé à reproduire ces personnages/univers qui les accompagnent depuis leur enfance. Pas étonnant donc de voir désormais fleurir des Goku ou des Naruto au milieu des Snoopy, Mickey et autres classiques.

En effet si les graffeurs aiment s’approprier et reproduire des personnages issus de Comics, BD, Manga, il y a plusieurs raisons a cela. Déjà ils sont immédiatement reconnaissables par le plus grand nombre et puis un petit perso connu c’est toujours sympa, même si on est hermétique à la démarche. Mais pragmatiquement si on regarde, ces personnages répondent a des codes forts et immédiatement reconnaissables, que ce soit les couleurs, la forme, un gimmick, etc. Donc même si le personnage n’est pas fidèlement reproduit, il sera quand même reconnaissable et son impact dans le graff sera bien présent. Car que ce soit Mickey, Hello Kitty ou Goku, le dessin du personnage est efficace, rodé et possède des éléments clairs -comme les couleurs-, qui permettent immédiatement de l’identifier. Il y a tout ce qu’il faut, le dynamisme et l’impact en bonus. En gros c’est super efficace. En plus c’est de la ligne claire, ce qui rien que techniquement marche parfaitement avec le graffiti, puisque que dans le graffiti on pose les couleurs avant de poser le contour. 


Une histoire de techniques et de rendu

Comme on vient de le voir, il y a un lien fort entre reproduction de personnages et graffiti, mais il y a aussi un écho particulier entre manga/anime et graffiti, écho qui va plus loin que la simple reproduction de personnages. Car si les personnages et les univers ont clairement eu une influence notable, les techniques et les rendus utilisés dans les mangas/animes ont aussi impacté et nourri certains graffeurs et le graffiti en général. En effet, si on gratte un peu (ou qu’on pratique), on constate qu’il y a une certaine connivence dans l’efficacité des rendus ou l’usage de la couleur par exemple…

Je m’explique ;

Dans le graffiti et particulièrement dans le graffiti « vandale » (comprenez réalisé en toute illégalité) tout est généralement question d’impact, d’efficacité et de contraintes. Qu’on parle des lettres ou des personnages. Déjà il y a la contrainte temporelle, généralement quand on commence un graff’ on sait qu’on aura X temps pour le réaliser. Ca peut aller de 10 minutes a la journée, voir plusieurs jours, mais dans tous les cas à la fin faut remettre un truc. Les contraintes de temps et les techniques pour en économiser, utilisés dans les mangas/animes trouvent donc un écho fort dans le graffiti. Car cette contrainte même si elle est différente pour le fond est la même sur la forme : le temps. Pourtant dans les deux cas, le rendu final et l’impact visuel est généralement bien présent. Qu’on aime ou pas…

Et si la construction de certains persos est parfaite pour le graffiti, il en est de même pour l’emploi global des couleurs -surtout dans les animés- qui va a l’essentiel et privilégie les contrastes et les associations efficaces. L’efficacité des couleurs, des rendus et des ombres utilisés dans les animes avec parfois seulement 2-3 couleurs correspondent en tout point avec les contraintes matérielles et temporelles du graffiti. Car dans le graffiti, chaque couleur utilisé c’est une bombe de peinture à transporter. Si on mise sur un truc en 20 couleurs, ce sera donc au minimum 20 sprays à transporter. L’efficacité du rendu couleurs dans les mangas/anime est donc particulièrement compatible avec le graffiti. Des animés comme DBZ -pour n’en citer qu’un- ont graphiquement nourri des générations de graffeurs, une des meilleure preuve est le nombre d’explosions typiques de la série qu’on peut croiser dans de nombreux graffs. Les personnages de la série, reproduits un nombre incalculable de fois sur murs, trains, métros, j’en parle même pas.

Le travail du noir et blanc pratiqué dans les mangas n’est pas a négliger non plus, le rendu en deux couleurs trouvant parfaitement son chemin dans le graffiti, où on est parfois (voir souvent) limité en matériel, là ou les mangakas ont prouvé qu’on peut faire des merveilles avec que du noir et du blanc.

DB train

Une histoire d’appropriation

Puis même si on passe outre les techniques, graphiquement aussi faut avouer que manga et graffiti ça fonctionne bien ensemble, ça se répond, ça marche. Grâce a ce que j’ai évoqué plus haut mais pas que. On peut en effet facilement retrouver la même forme d’énergie entre les deux médiums. Le découpage des cases ou des plans, la dynamique ou les poses de certains personnages sont particulièrement compatibles avec le graffiti. Les onomatopées typique des gros shōnen ont d’ailleurs la même dynamique que certains graffs et la calligraphie et le tag ont bien plus de points communs qu’on pourrait le penser. Car même si pour les yeux du néophyte cela parait difficile à croire, souvent il y a une vraie recherche calligraphique dans les tags ou les graffs. Cette même recherche de rendu, de fluidité, de suppression des mouvements inutiles qu’on peut retrouver dans la calligraphie, dans le travail des onomatopée ou le rendu global des mangas/animes. Tout ça trouve un écho particulier et relativement similaire dans le graffiti.

Car le graffiti même s’il répond a des codes stricts et établis, est depuis ses origines, un medium qui se nourri énormément des autres. Et il ne se contente pas que de copier, il se réapproprie et réinterprète les codes. Ici le sujet c’est le lien avec le manga, mais des parallèles avec le comics, l’architecture ou le Pop Art par exemple sont tout aussi réels. Quelque part, le graffiti se réapproprie et prolonge ces différents langages à travers le graffeur qui réinterprète ces langages et ses techniques pour pouvoir nourrir et donner vie à tout autre chose, via une autre démarche sur d’autres supports et dans un tout autre contexte. Donc ce n’est pas étonnant vu les nombreux parallèles, que le graffiti se soit approprié des codes et des techniques des mangas/animes. Après tout, le graffiti est un courant libre et opportuniste et comme il s’approprie sa place dans l’espace urbain, il s’approprie aussi tout ce qui lui permet de se nourrir. Il est un peu comme une éponge qui absorbe ce que son auteur aime, les tendances, les modes, l’actualité etc.  Comme c’est ultra vaste, que tout est permis ou presque, il n’y pas de mauvaises inspirations et tout peut devenir le point de départ de quelque chose… Le tout passé par la moulinette de la personne derrière la bombe de peinture, ce qui donne ce mouvement un brin hétéroclite, libre, spontané, difficile à cadrer et à comprendre.

Goldorik.bl


Une histoire d’influences

Les graffeurs dont le travail est inspiré ou influencé par les mangas/animes sont aujourd’hui tellement nombreux qu’il m’est impossible de tous les citer. Néanmoins il est quelques incontournables dont l’influence des mangas/animes a clairement eu un énorme impact sur leurs travaux. En voici quelques-uns qui illustreront mieux que 1000 mots ce que je viens de développer.

Zedz est un graffeur hollandais, un pionnier en Europe. Il a touché a tout, que ce soit niveau supports ou styles et a toujours poussé son graffiti de plus en plus loin. S’il réalise encore aujourd’hui des graffitis « traditionnels », l’essentiel de son travail se base actuellement sur les robots. Mais pas n’importe quels robots! Non, les jouets Shogun Warriors tiré de Great Mazinger, Goldorak etc. Tout en le mixant avec son pseudo dans une pure démarche graffiti. Après avoir réalisé ses « robots lettrages » sur mur, il les propose aujourd’hui sous forme de figurines. Inspirés de figurines pour en redevenir une, la boucle est bouclée.

ZEDZ

Actif depuis les années 80, Mist a développé un univers coloré et clairement identifiable. Pourtant malgré sa patte graphique indéniable et reconnaissable qui se suffit a elle même, il sort une série de « designer toys » inspiré par un certain grand cornu qui connaîtront un énorme succès. Il a même réalisé une statue monumentale toujours inspiré de Goldorak, pour le jardin du Musée des Beaux-Arts de Nancy.

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Totem2 fait partie du légendaire Tats Cru, actif depuis les années 80. Travaillant le graffiti dit « classique », il pratique aussi le graffiti 3D qui est basé sur le relief et le rendu technique. Avec une certaine tendance a transformer ses lettres en bouts de robots et à les assembler pour former son graffiti. Avec selon moi un sacré goût de mecha type Gundam et cie…

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Brusk réalise des graffs depuis le milieu des 90’s, même s’il a rapidement développé un travail plus artistique et moins axé sur la lettre . La particularité du style de Brusk est le « dripping style », une technique qui donne à son travail un effet de peinture « dégoulinante ». En 2020, il rend hommage aux personnages emblématiques de son enfance via une série de dessins imprégnés par son style.

Brusk.

Les influences de Debza sont claires et visibles au premier coup d’œil. Explosions, onomatopées, travail du noir et blanc tout dans son travail transpire l’influence des mangas/animes. Le tout remixé sauce graffiti !

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Esprit (S-Prit) est un graffeur originaire de suisse. Actif depuis 1989 cela fait désormais quelques années qu’il reproduit régulièrement des personnages issus de mangas/animes mêlés a ses graffitis dans un pur esprit traditionnel. Et avec un putain de talent !

Esprit

Originaire du Cotentin , Blesea s’est fait remarquer en peignant des blockhaus et autres (souvent de manière illégale) et en les détournant pour rendre hommage à Dragonball. Son Shenron a d’ailleurs fait le tour du Web il y a quelques années. Depuis il a réalisé de nombreuses peinture ou il se met en scène avec nos Saiyens préférés. Et d’autres…

Blesea


Une histoire de conclusion

Comme on vient de le voir les liens entre les deux disciplines sont finalement bien plus nombreux qu’on pourrait l’imaginer. Même niveau parcours et diffusions on peut y trouver des similitudes. Dans les deux cas, cela a largement été popularisé par la jeunesse qui s’est retrouvé et reconnu dans ces mouvements. De petites communautés, c’est devenu des phénomènes mondiaux qui touchent à terme toute les tranches d’ages et de classes sociales. Pour beaucoup aussi, ces mouvements accompagneront leurs vies jusqu’à l’age adulte. Et pour certains ce qui était d’abord une simple passion ou un loisir est devenu par la suite un métier; traducteur, éditeur, mangaka etc. dans le cas du manga ou encore graphiste, artiste, tatoueur etc. dans le cas du graffiti.

Autre détail, les deux mediums sont apparus par chez nous quasiment en même temps avant de timidement se populariser petit à petit dans les années 80-90 et littéralement explosés ces dernières années. Et parfois chez les même personnes qui baignent ainsi dans les deux univers…

Et pour conclure, je vais faire un dernier parallèle entre le graffiti et les mangas/animes; le mépris. Oui quelque part, il y a toujours cette espèce de mépris pour la « pop culture » VS la « vraie culture » ,  cette tendance a tout classer et mettre dans des cases. Qui n’as pas entendu des trucs du style « Taniguchi oui, car c’est un vrai auteur » en parlant de manga avec certains, qu’on peut facilement comparé a ce sempiternel mépris envers le graffiti pur et dur (comprenez illégal), avec le classique « les fresques oui, mais les tags et le vandalisme ça non » alors que c’est un tout dans les deux cas…

Bref,

Outres ces points communs, faut aussi avouer que le mélange des deux univers ça fonctionne bien et ça donne lieu a de sacrées réalisations. Et on peut dire que désormais, le graffiti comme les mangas sont clairement rentrés dans la pop-culture et dans les mœurs et qu’il faut compter avec eux encore pour longtemps… n’en déplaise à certains.


En espérant que ce billet vous ai permis de voir le graffiti sous un angle différent et fais découvrir 2-3 trucs…

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