Elric

Entrée du labyrinthe de Melniboné

On y accède par un labyrinthe maritime, une parfaite structure qui permet aux vagues d’y pratiquer une danse au rythme effréné, balançant chacun de ses remous contre les parois rocheuses de ce dédale.
Une fois que l’on a réussi à déjouer le parcours et son rythme incandescent, ce piège laisse entrevoir la cité qui gouverne les jeunes royaumes, Melniboné.
« L’île aux dragons », tel est le nom pour ce lieu qui accueille en son sein ces créatures bestiales et indomptables, dévoreureuses de monde, annihilant toute existence. Néanmoins, un peuple les chevauche et soumet toute civilisation à leur décadence, les Melnibonéens. Des êtres perfides, doués de magie, orgueilleux, aux cultes impies jouant avec les plaisirs les plus dégénérés.

Au centre de l’île, parmi les empereurs du ciel que sont les dragons et de son peuple délirant se trouve la capitale d’Imrryr, la cité qui rêve.
Au-delà de sa sonorité onirique, elle nous rappelle que ses habitants, sous une abondance de psychotropes, sont plongés dans une mièvre torpeur qui leur fait oublier qui ils sont.
Quand vient leur réveil, et subissant les relents des substances, ils s’adonnent au « plaisir de la chair » qui n’a de plaisir que si on est issu des melnibonéens. L’humain kidnappé de son royaume sera soumis à la douleur le rabaissant au stade de simple jouet pour satisfaire les phantasmes de ses geôliers.

Enfin, encore plus au centre, situé dans la cour royale en décalage absolu de l’odeur qui mélange celle du sang et de la sueur se dresse l’improbable trône de rubis. Une construction imposante qui ne laisse la place à aucun doute quant à celui qui y siège comme le souverain implacable. Ce dernier y est affaissé, la mine creusée par une santé qui vacille, un regard qui s’échappe entre torpeur et le spectacle qu’offrent ses congénères. Elric, empereur albinos souffre de sa condition, trop faible pour être imposant au regard des siens et pas assez sulfureux pour mener des campagnes confirmant sa domination sur les royaumes voisins. Il est néanmoins le plus puissant des sorciers au point d’être un favori pour Arioch, une déité du chaos qui se fera un plaisir de lui prêter toute son attention quand ce dernier l’invoquera.
Une seule chose permet au seigneur de ne pas sombrer face à la complaisance de son peuple, Cymoril. Cousine et prêtresse capable de soulager Elric de son mal-être à travers des rituels ou des parchemins antiques, elle est sa raison de rester parmi les siens et d’y trouver une paix qui échappe à tout ce chaos.
Pour finir ce tableau se cache dans sa cour Yyrkoon frère de Cymoril, le plus Melnibonéens de sa nation, attaché aux traditions, il désire les perpétrer au-delà de Melniboné menant guerre sur guerre aux jeunes royaumes pour confirmer son idéologie.

Dans ce cyclone d’incertitudes, une chose est pourtant fixée solidement aux aillons du destin, Elric sera le dernier empereur de Melniboné, celui qui lors de sa dernière marche, sans tambour battant, amènera la fin de son royaume dans une fracassante fanfare de glaives. Ce long chemin sera suffisamment large pour accueillir sa plus fidèle partenaire, Stormbringer, une lame runique dotée d’une volonté propre capable de dévorer avec passion son possesseur. Capable de faire choir un dieu, son amour dévorant pour Elric le placera au-dessus de tout au point d’en devenir l’empereur de la dark fantasy.


Prologue : Michael Moorcock

A l’origine Elric naquit sous forme de roman rebaptisé plus tard « le cycle d’Elric » écrit par Michael Moorcock, un homme qui grandit dans une Angleterre d’après-guerre. Un âge où le monde doit se relever, où les certitudes vacillent et les liens étiolés par les temps difficiles, espère trouver dans la nouvelle génération des artisans inspirés pour rendre leur splendeur. Bref, une mélancolie envahit les cœurs et l’héritage qui sera confié aux descendants le transformera en une source d’inspiration.

Nous avons tué accidentellement ce que nous chérissions, en maniant aveuglément les épées noires de notre talent quand la fièvre de la révolte s’emparait de nous, mus par le besoin avide de la substance dont elle nous nourrissait tout en redoutant d’y perdre l’âme et la raison

Alan Moore 2014, Postface Elric tome 2 : Stormbringer
~

Comme une conclusion à cette période, une nouvelle génération d’auteurs cherche à unifier ses lecteurs dans le but d’ébranler leurs aînés. L’alchimie a lieu dans le roman d’Elric et donne une concoction où il n’est pas difficile de percevoir en son antihéros, parfait champion, provoquer la chute de son empire comme une réponse d’une Angleterre que Moorcock réinterprète
L’omniprésence de la fragilité dans l’ordre qui habille le quotidien de son auteur lui offre l’occasion d’y déverser sa vision du chaos, de martyriser son antagoniste le tout dans une course effrénée qui, même si elle enchaîne les tragédies, le fait avec une vigueur aussi puissante que salvatrice. Cette passion deviendra une base pour de célèbres auteurs qui s’y verront influencés. Que ça soit pour sa capacité à réinterpréter le monde ou comme réponse à une fantasy plus obscure, elle servira à nourrir l’imaginaire de ses lecteurs et à les pousser à perpétuer la démarche de son auteur.

L’univers est donc naturellement sombre, mais aussi merveilleux avec ses immenses temples, son massif trône de rubis, ses navires qui enrôlent mille souffles dans ses voiles, tout est dantesque.
Pour l’adapter visuellement et lui rendre tous les hommages possibles, il faudra compter sur une guilde d’auteurs aguerris qui pourront à la fois être architecte et forgeron afin de bâtir et armer ses légions de Melniboné. Pour cet exercice, quoi de mieux que la BD, puissant support, qui permet de se jouer de l’espace pour la tordre et créer des structures narratives qui se module au gigantisme de cet univers.

Corps : L’adaptation

« L’univers sera impossible à adapter, tellement il y a de détails, d’effarants champs de batailles ou de créatures plus terribles les unes par rapport aux autres ».
Voilà ce qu’on pouvait entendre il y a encore une quinzaine d’années, non pour Elric, mais pour le seigneur des anneaux de Tolkien de la part des fans. A l’époque où je découvrais à peine l’univers à travers mon frère aîné, qui était féru de fantasy, il recevait en location les 2 premiers tomes d’une édition non pas en 3 volumes, mais 6 de cette saga. A peine une poignée d’années plus tard, Peter Jackson marquait le cinéma en adaptant l’œuvre en 3 films qui auront le succès qu’on connaît.

Très ancienne édition du seigneur des anneaux chez « Folio junior« 

Arrivé à l’écran est donc devenu synonyme de réussite, un public ciblé plus large, la reconnaissance de critiques faisant les éloges sur des supports plus accessibles, le succès est naturellement ce qui marque notre paysage. Dans une autre dimension, c’est maintenant au tour de The Witcher, qui avait déjà bien remporté les louanges via sa saga vidéoludique, de rafler la mise avec sa série. Nouveau format plus adapté aux attentes d’un public qui change constamment et avare de fantasy. On peut aussi parler de Game of Throne qui a sollicité les plus néophytes d’entre nous et animé des conversations lors des temps de repos dans de nombreux secteurs. On pourrait penser qu’Elric est encore en sommeil attendant son chef d’orchestre qui sera capable de le dévoiler à ce public qui l’ignore.

Cymoril, Elric et Stormbringer

A défaut, il bénéficie d’une forme à la fois traditionnelle et musclée qu’est la BD. Un format toujours aussi prestigieux qui permet à ses auteurs d’exploiter, non pas uniquement l’aventure, mais l’univers dans sa forme la plus primale. Légion sont les pages qui associent la splendeur des lieux à une narration épurée et juste. Laissant la place à la stupéfaction d’immenses planchent qui racontent autant de détail qui semblaient encore impossible à imaginer, il y a quelques décennies. Le rythme trouve sa place naturellement dans une mise en scène proche du théâtre qui entrecoupe son scénario pour bénéficier d’une souplesse qui accentue chaque événement auquel Elric fait face. Malade, en train de guerroyer, en plein doute ou déchaînant sa colère contre les dieux, l’empereur de Melniboné ne délaisse jamais sa seigneurie quand il est pris en main par ses dessinateurs. Comment le pourrait-il ? Tant le souffle de l’imaginaire permet de donner à ses pages et à ses textes la justesse épurée qu’il cherchait à acquérir à travers une nouvelle forme, certes inattendue, mais rendant hommage à son créateur et à sa vision. Chaque case, chaque page, chaque album est plus qu’une adaptation, mais un véritable hommage à ces histoires qui marquent notre imaginaire et désireux de passer le plan de la réalité pour exprimer son amour.

Conclusion : L’héritage

J’ai internalisé les livres : ils sont devenus une part de moi-même, à un niveau très intime. Parfois, quand on me demande d’évoquer mes influences, j’oublie de parler de Michael Moorcock, parce que le travail de Mike, englouti, lu, relu et absorbé alors que j’étais encore en train de me former, est moins une influence sur ce que je suis et la façon dont je pense que la fondation même de tout cela

Neil Gaiman 2017, postface Elric tome 3 : Le loup blanc.
~

Elric, dernier empereur de Melniboné, est toujours là, quelque part entre les plans de notre imaginaire et la réalité qui forme notre quotidien.
Né en roman, c’est au travers d’une incroyable adaptation BD, favorite de Moorcock lui-même, qu’elle s’introduit sur nos étagères comme s’il y venait sans invitation.
Peut-être grâce à Stormbringer elle-même ? L’épée permettrait à son bien-aimé Elric de ne jamais trouver le repos qu’il convoite, s’introduisant dans nos références pour continuer à exister jusqu’à trouver ses champions capables de lui donner une nouvelle forme de vie. Cela laisse songeur, peut-être qu’un jour, quelqu’un tombera sur ces BD et trouvera la force et l’inspiration de lui offrir une adaptation au « tout public » qui lui fait défaut. Après tout, Ridley Scott lui-même fut inspiré par une nouvelle de Moebius pour créer l’univers de son Blade Runner.

En attendant, il aura tout de même fallu l’intervention de plus de 6 artisans-auteurs pour dresser les premières périphéries du seigneur albinos compilé en 4 albums. Un projet si dense qu’il demande à ses auteurs d’y plonger puis, de s’extirper pour qu’un autre prenne la relève. Sans doute une nouvelle fois l’influence de Stormbringer qui sollicite toute l’attention de ses maîtres, pour qui désire apporter sa marque quitte à lui priver de tout autre projet personnel …
Néanmoins, si les noms changent, la qualité, elle, reste constante et s’adapte aux talents de chacun offrant un plaisir qui ne se voit jamais alternée.


Régnant sans partage, Elric est sublimé, on sent que sa lucidité ne vacille toujours pas et que sa lame runique grippée à sa main, nous rappelle qu’il y a de ces choses que jamais les ténèbres ne pourront éteindre.

Elric : Cycle 1 – Melniboné, édition Glénat
Oeuvre original : Michael Moorcock
Scénario : Julien Blondel, Jean-Luc Cano
Dessin : Robin Recht, Julien Telo, Didier Poli
Couleur : Jean Bastide, Stéphane Paîtreau

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3 commentaires

  1. Un article très prenant et qui m’a bien donné envie de découvrir à minima la BD et peut être les romans ensuite. Je viens déjà de checker et c’est dispo dans une médiathèque où je vais donc je vais lire ça dans l’été je pense. Vagabond m’avait dit se laisser souvent guider par tes avis en particulier pour les comics, je suis bien content que tu nous fasses profiter de tes goûts pendant (au moins) 100 articles.

    Aimé par 1 personne

    1. C’est cool d’avoir pris le temps de lire, merci ~
      Je trouve important de changer de support pour voir comment un univers (la fantasy ici) peut permettre de faire autant sur le dessin que sur le scénario.
      J’ai évité de faire de comparaison avec Berserk dans l’article, mais je trouve que mettre Elric et les aventures de Guts l’un à côté de l’autre rend même les œuvres meilleures. Elles se répondent et fait ressortir les forces de la BD, manga, de la dark fantasy et notre propre immersion.

      En espérant tout de même que tu prennes plaisir à la lecture, si lecture il y a !

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